In a special ceremony at the Embassy of France, the medal of the Knight of the Legion of Honor was presented to the President of the MANA Organisation Mrs. Randa Ghandour. This special honour is the highest distinction of the French state and is awarded to citizens who have distinguished themselves for their contribution to society and their great work.

Madame, chère Randa,

La mission qui m’est confiée ce soir est impossible. La remise des insignes républicains obéit à un formalisme qui voudrait que je rappelle, devant vous tous ce soir, les actions, les convictions et peut-être même le parcours de vie qui justifient le choix qui a été fait, par la République française, de vous remettre aujourd’hui les insignes de chevalier de la Légion d’Honneur.

Or, la difficulté de cet exercice est que vous n’aimez, ni qu’on rende publiques les actions importantes pour lesquelles vous n’exprimez aucun besoin de reconnaissance, ni, et encore moins, qu’on évoque votre parcours de vie. Cette discrétion et cette pudeur, que je respecte infiniment même si elles ne simplifient pas ma tâche ce soir, sont toutes deux à votre honneur.

Commençons par le plus simple : notre rencontre. Vous le savez, Nadia et moi-même sommes tombés sous le charme de votre élégante personnalité : une liberté de ton et de conviction, une intelligence vive et parfois rebelle dans laquelle nous avons reconnu l’écho d’un certain esprit français, une volonté et une énergie qui déplacent les montagnes.

Vous êtes née dans un Liban cher au cœur de tous les Français. Vous vous êtes, par la suite, installée en Grèce avec votre famille tout en gardant des liens forts avec la France.  Dans ce contexte, je vous ai posé un jour la délicate question de l’identité. D’où venons-vous ? Nos origines nous définissent-elles ? Non sans humour, le jeune acteur et réalisateur Roda Fawaz a dit qu’être Libanais est moins une nationalité qu’un métier et une névrose.

Mais laissons de côté cette question identitaire, précisément, chère Randa, parce que vous avez décidé – il me semble que c’est un choix que vous avez fait conjointement avec Ghassan – que vous ne vous laisseriez définir, ni par votre nationalité – fut-elle libanaise de naissance, grecque d’adoption ou même française de cœur – ni par votre histoire personnelle qui a eu aussi son lot de tragédies. Alors que vous auriez pu connaître l’enfer d’un cœur vide, je vois tout au contraire, dans les actions que vous menez, non seulement une exigence morale et le refus de consentir au désenchantement du monde, mais aussi et peut-être surtout une façon de donner un sens aux souffrances que vous avez vous-mêmes endurées.

Khalil Gibran a écrit : « Nous ne vivons que pour découvrir la beauté. Tout le reste n’est qu’attente ». Alors, l’art, bien sûr, dont je vous sais, avec Ghassan, passionnée, mais aussi la beauté au travers de cette étincelle d’espérance que vous allumez sans relâche, au Liban bien sûr, mais également en Grèce, dans le combat contre la maladie auprès de ces femmes atteintes du cancer que j’ai eu l’honneur de recevoir ici même, à vos côtés, ou encore, dans le combat pour l’éducation de tous, au Lycée franco-hellénique en particulier où le soutien que vous apportez – je prends à témoin le Proviseur, ici présent – se révèle si précieux.

Victor Hugo évoquait, à côté de la divine providence, la générosité de ces êtres qui, au cours de leur vie, se font providence auprès d’un individu, d’une famille ou d’un groupe d’infortunés qu’ils soignent et consolent tout en s’efforçant de restaurer leur dignité. C’est ce sens de l’humain que les anciens Grecs appelaient philanthropia, « ce penchant naturel à aller vers ses semblables, cette manière d’être qui porte à la bienfaisance et à la bienveillance ».

Chère Randa, vous avez fait de cette attention à la souffrance des autres un combat personnel. Je connais votre attachement extrême à votre famille, mais votre action ne s’arrête pas aux portes de votre tribu. Je sais aussi l’énergie que vous déployez pour que celles et ceux qui le peuvent, y compris parmi les autres familles libanaises, au Liban et en Grèce, soient aussi à la hauteur des exigences de la solidarité.

Permettez-moi enfin, et sans emphase, de souligner votre bienveillance. Jointe à votre douceur, elle s’appelle bonté. Une bienveillance délicate, qui ne fanfaronne pas, ne se gonfle pas, ne cherche pas son intérêt. Qui ne consent ni à l’injustice, ni au malheur. Qui donne, se donne et tire sa joie d’une exigence de consolation. Votre engagement, c’est de donner quand d’autres ne savent que demander et prendre. C’est une exigence de justice et un combat qui n’appelle aucun geste en retour. Une exigence d’agir et de contribuer à réparer les désordres du monde, en contrepoint de l’essoufflement de nos Etats, des limites de notre solidarité collective et de l’individualisme croissant de nos sociétés.

Si l’authentique générosité est rare, c’est qu’elle est fragile en chacun de nous, parce que l’égoïsme est souvent le plus fort et parce que, comme l’écrivait Pascal, « le cœur de l’homme est creux car il n’est empli, presque toujours, que de soi ». Khalil Gibran, encore lui, a écrit : « Vous ne donnez que lorsque vous donnez vos biens. C’est lorsque vous donnez de vous-mêmes que vous donnez réellement ». Permettez-moi, chère Randa, de faire vôtre cette pensée, parce qu’ayant à présent le privilège de vous connaitre, je veux témoigner ici même, devant Ghassan, votre famille et vos amis, de votre engagement sincère et désintéressé, au service de ceux qui sont dans la souffrance.

Et c’est pourquoi, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous sont confiés, nous vous faisons chevalier de la Légion d’Honneur.